Interview de l’artiste
Pierre-Alain Morel
Ce musée est énorme et rempli de merveilles. Le dernier étage de la nouvelle partie du bâtiment, un ancien abattoir, est dédié à l’art contemporain.
Ici, juste avant de redescendre les escaliers pour quitter la salle, j’ai aperçu un tableau qui m’a fortement marquée.
Ainsi, je suis revenue sur mes pas pour l’admirer de plus prêt et pour lire le nom de l’auteur.
C’était une peinture réalisée par Pierre-Alain Morel.
C’était une peinture réalisée par Pierre-Alain Morel.
Ce qui m’a frappée de cette œuvre c’est bien sûr la combinaison des couleurs chaudes et froides, le jeu des reflets et des ombres ; mais c’est surtout la réflexion qui est derrière cette réalisation qui a capturé mon attention.
Il y a une toile dans la toile, ceci est surement le départ d’un voyage imaginaire pour moi.
Toutefois, ce que je ne savais pas encore, c’est que ce tableau était pour moi le canal pour connaitre l’artiste et réaliser une interview pour mon blog.
L’artiste
Pierre-Alain Morel est né à Fribourg en 1966.
En 1991, à l’âge de 25 ans, un atelier-logement lui a été octroyé par la Cité Internationale des Arts de Paris pour une année. À ce moment, l’art devient son métier.
D’année en année, sa technique de peinture et sculpture se développe, en se perfectionnant.
(c) Pierre-Alain Morel |
Si au début de sa carrière, le trait du pinceau de Morel était furieux et dessinait plein d’angles et de zig-zag sur la toile, on observe, dans la maturité de l’artiste, surtout beaucoup de courbes. Le trait s’est adouci et la palette des couleurs s’est fortement élargie.
Le collage est une thématique chère à l’artiste, qui aime travailler sur des images existantes et superposer sa signature, son interprétation, avec un trait de pinceau abstrait et doux.
(c) Pierre-Alain Morel 2008 |
Au cours de l’année écoulée, la peinture figurative est venue accompagner la peinture abstraite dans la même toile. Ainsi, l’œuvre est plus complexe et riche.
Pierre-Alain Morel se trouve à Paris depuis septembre 2020, pour une année, après avoir obtenu la Bourse Jean Tinguely et l’attribution par le canton de Fribourg d’un atelier-logement à la Cité Internationale des Arts de Paris.
Ainsi, j’ai eu l’occasion de l’interviewer par Skype.
L’artiste m’a révélé que pendant le temps qu’il a à sa disposition pour travailler, il s’ennuie jamais et profite d’en avoir assez pour réaliser ses œuvres en grande liberté.
À son retour en Suisse, en automne 2021, une exposition est déjà prévue : « Retour de Paris » au Musée de Morat.
Il y a beaucoup de moments très intéressants dans la carrière de Pierre-Alain Morel et l’artiste s’est révélé très disponible à en discuter.
Notamment, pendant notre conversation, il a reparcouru les étapes qui ont conduit à la naissance de l’Institut Créole en Suisse fondé avec l’artiste Wojtek Klakla.
Cet institut est le fruit d’une collaboration entre les deux artistes qui se nourrissent avec leur sensibilité réciproque.
(c) Institut Créole en Suisse |
La figure qui les a inspiré est l’écrivain Édouard Glissant qui était créole. Dans ses publications, il défendait la multiplicité des points de vue. Ainsi, il parlait de « créolisation des cultures ». Et nos artistes ont décidé d’amener un peu de créolisation en Suisse.
Une grande expérience que les deux artistes ont partagé, est un séjour de 40 jours en Chine en 2019.
Pierre-Alain Morel m’a expliqué que tout a commencé par un voyage à Pékin. Ils étaient invités par l’Ambassade Suisse en Chine. Ici, ils ont eu l’occasion de visiter un immense quartier artistique. L’hasard a voulu qu’ils rencontrent Liu Ruowang (artiste chinois célèbre pour ses installations artistiques à grande échelle, dont j’ai pu en voir une cet été à Florence).
Après avoir vu le livre présentant les œuvres de Morel et Klakla, Ruowang les invite à travailler pendant 40 jours dans son atelier.
Les œuvres que les deux artistes ont réalisé dans le Yukou art district à Shaanxi en Chine, ont fait l’objet de l’exposition : « Retour de Chine », au Musée d’art et d’histoire de Fribourg en 2020.
Je laisse la parole à l’artiste pour répondre personnellement à trois questions.
Quel rôle a le public dans vos œuvres d’art ?
Le public, qui vient visiter une exposition, prend acte de nos travaux et les fait exister ! C’est un écho à ce que l’on produit, souvent, d’une façon solitaire (pour les plasticiens). IL est donc indispensable.
Chacun à notre manière, nous sommes acteur et aussi spectateur, lecteur, auditeur, interlocuteur. La finalité de tout est certainement l’échange et la rencontre.
Pensez-vous que, dans le monde actuel, l'art joue un role dans la société?
L’art est essentiel, il correspond aussi à une expression possible de cette partie spirituelle (au sens laïc) de l’homme. Tout comme la philosophie par exemple, les domaines artistiques sont des lieux d’expressions qui peuvent aider à mieux vivre ou même à vivre passionnément !
L’éducation (artistique) peut contribuer à un accès plus privilégié à l’art et à l’image en apportant des moyens supplémentaires dans la lecture et la production d’images.
Les expressions artistiques ont leurs langages, comme tous langages, il y a des règles, un vocabulaire.
Ces éléments mieux compris, participent à l’appréhension d’une œuvre en apportant un accès plus vaste, plus riche, plus subtil, voire même, une compréhension différente à une production artistique !
À quoi vous êtes en train de travailler en ce moment ?
Dans la peinture, je cherche une liberté que je n’arrive pas trouver ailleurs. Quelque chose de sans limite dans la tête et dans le corps. Être léger, présent, et complètement investi.
Dans la toile, je vise un moment de folie, quelque chose qui m’échappe. Une association de formes, de couleurs qui provoque en moi une forme de dynamique visuelle intérieure.
Une sorte d’inquiétude réjouissante.
Dans ma démarche abstraite, il n’y a pas de formules, ni de voies tracées, tout est à inventer à chaque instant. Une forme, une trace, une couleur sont des invitations à une réaction picturale, un contraste à établir.
Le seul critère est mon jugement, une exigence personnelle.
Au fil des ans, un langage personnel s’est mis en place, comme une écriture calligraphique.
Le texte n’est cependant jamais écrit.
Souvent, je me demande par quelle magie j’ai encore envie de peindre.
Cet état d’être en peinture, comme en alerte, en réactivité permanente, est aussi assez épuisant mais me donne un sentiment de vitalité intense.
Une similitude que je sens de plus en plus avec ma manière de vivre ma vie. Cette perpétuelle réactivité à ce que je vis construit ce que je deviens.
Une somme de choix qui m’emporte, même si je ne sais pas où.
Mes approches de la figuration, en peinture comme en sculpture me donnent un sentiment de répit par rapport à l’abstraction. Un sujet donné est une contrainte qui oriente passablement, tout reste cependant aussi à faire.
Le sujet conditionne, invite, impose ses critères; au niveau de la réalisation, mais également à celui de la lecture.
Même dans les travaux où la facture, la manière de peindre est extrêmement personnelle, ce qui est représenté est souvent très dominant.
J’aime être devant un monde sans nom, comme un langage en soi.
Avec mon pinceau, je peux écrire le mot vigueur, je préfère l’utiliser pour tracer une ligne vigoureuse ; « ceci ne sera pas forcément la vigueur ».